Les trois oxymores de Miami Vice - Paroles de fan
Retour à "Articles"Pour le sixième numéro de notre série intitulée "Paroles de fans", nous avons l'honneur de voir le philosophe Henri de Monvallier nous livrer, en exclusivité, son témoignage de fan en même temps qu’une analyse de la série. Une édition un peu particulière à suivre tout au long de l'été...
À Emmanuel Francq qui sait partager sa passion et sa science avec générosité.
« You’re a poet, Rico ! », James Sonny Crockett (Prodigal Son, saison 2)
Prenant la plume sur une série télévisée, un trouble me saisit. J’ai d’abord un écrasant complexe d’infériorité en la matière car il se trouve que j’ai un frère de six ans plus jeune que moi qui travaille dans la télévision et qui est un spécialiste tout à fait éminent des séries télévisées des origines à nos jours. Il a fondé il y quelques années maintenant le site Internet Le Monde des Avengers et est, à ma connaissance, l’un des meilleurs connaisseurs de la série The Avengers (Chapeau melon et bottes de cuir). Nous nous étions en quelque sorte réparti les rôles. À moi les livres, la littérature, la philosophie ; à lui la vidéosphère, les séries et la télévision. J’ai ainsi l’impression d’empiéter sur un territoire qui n’est pas le mien.
Par ailleurs, j’avais fait depuis un certain temps maintenant vœu de chasteté en matière de séries : trop chronophage. Déjà que je n’ai pas assez de temps pour lire et regarder des films, les séries, vous n’y pensez pas… Quand on me parle Netflix, House of cards ou Game of Thrones, c’est comme si on me parlait serbo-croate. Ce monde m’est en grande partie étranger. Aujourd’hui on produit dix séries par jour : on balance des centaines d’épisodes en streaming, on est dans le binge watching, tout ça au fond ne m’intéresse pas. Je ne nie pas la qualité de certaines de ces séries, encore moins leur créativité scénaristique, mais, je ne sais pas pourquoi, elles ne m’attirent pas.
Quand je regarde mon autobiographie de (télé)spectateur de séries, elle est au fond assez mince. Je suis né en 1980. Il y a eu dans mon enfance La Cinq de Berlusconi dans les années 1980-1990 où je regardais de temps à autre un épisode de telle ou telle série (K-2000, CHiPs, Magnum, Starsky et Hutch, Shérif fais-moi peur !, etc. et sans doute aussi un peu Miami Vice mais je n’ai pas de souvenir précis). Je regardais de temps à autre un épisode mais je n’ai jamais vraiment « suivi » une série à cette époque (même chose pour MacGyver que j’ai regardé occasionnellement à l’occasion des rediffusions dans les années 1990 d’ailleurs1). Ensuite, à la fin des années 1990 et au début des années 2000, je me souviens de Friends (les quatre premières saisons) et de quelques épisodes de X-Files que j’ai regardés avec mon frère (déjà passionné de séries à l’époque) alors qu’il était encore au collège et, plus récemment, avec ma femme, les trois premières saisons de Mentalist (plutôt une bonne série, je le reconnais, mais je ne sais pas si je la reverrai) ainsi que l’excellente série historique Rome de John Milius, William J. MacDonald et Bruno Heller (excellente saison 1, je l’ai gardée en DVD et pourrai sans doute la revoir, par contre saison 2 à oublier : Marc Antoine chez Cléopâtre, ça devient La Cage aux folles…) ; on notera au passage que Ciarán Hinds (César dans la saison 1) apparaît également comme agent du FBI dans une scène nocturne de Miami Vice le film de 2006. Amateur de Simenon, j’ai également regardé avec passion la série de téléfilms Maigret, produits dans les années 1990-2000 avec Bruno Crémer dans le rôle-titre. Mais ma culture en matière de séries s’arrête, je dois le dire, à peu près là. Ce n’est, comme on dit, pas mon domaine.
Comment donc en suis-je arrivé à devenir un fan de la série Miami Vice ? Pas complètement par hasard, je l’avoue. J’avais beaucoup aimé le film de 2006 que j’avais vu à sa sortie et que j’ai ensuite revu trois fois : j’avais déjà été fasciné par les scènes nocturnes atmosphériques (Crockett quittant son amante asiatique et partant en bateau sur le son du morceau "Autorock" du groupe Mogwaï, une scène qui continue encore de me hanter aujourd’hui). Dans la foulée, j’avais également beaucoup apprécié Collateral (que j’ai vu bien après sa sortie puisqu’il est antérieur de deux ans à Miami Vice). J’ai vu Heat il y a longtemps mais il faudrait que je le revoie. Je n’ai pas encore vu les autres films de Mann mais j’en ai le désir.
Je savais qu’il s’était inspiré de la série pour le film de 2006 mais j’ignorais à l’époque qu’il en avait été le producteur exécutif et qu’il en avait défini le cahier des charges esthétique de façon très précise (au moins pour les deux premières saisons). J’ai commencé il y a quelques mois à écouter des musiques et des chansons de la série, à revoir quelques extraits sur YouTube et j’ai commencé à être attiré par cette série qui me semblait avoir bien vieilli et sortir du lot de façon tout à fait remarquable sur le plan de l’esthétique et de la mise en scène. En écoutant en boucle le "Crockett’s theme" de Jan Hammer, j’avais l’impression de toucher à une espèce de mélancolie nocturne typique des années 80. Bien qu’ayant à peine vu la série, j’avais déjà des images qui me venaient à partir de cette musique si puissamment évocatrice : je voyais un type en costume blanc s’enfonçant seul dans la nuit (l’image qu’on voit précisément dans "You belong to the city" (saison 2, épisode 1). J’entrais dans la série de la meilleure des façons : par la musique. Ce qui me donnait de plus en plus envie de voir des épisodes.
Par le plus grand des hasards, l’intégrale de la série sortait en coffret Blu-ray remasterisé en décembre 2018 : l’occasion faisant le larron, j’ai attendu quelques mois pour confirmer mon désir et j’ai franchi le pas. Je me suis lancé dans un premier visionnage intégral de la série et je ne le regrette absolument pas. Je me suis aussi beaucoup informé en parallèle sur Miami Vice (mes deux sources principales étant le dossier d’Emmanuel Francq et son guide critique des épisodes sur Le Monde des Avengers et le présent site de référence). Pour synthétiser la fascination quasi hypnotique que m’inspire cette série (pour beaucoup d’épisodes, car il y a aussi des épisodes faibles, il faut bien le reconnaître, mais sur 111 épisodes, c’est inévitable, c’est la loi…des séries), je dirais que ce qui fait la force de Miami Vice, c’est de se situer au croisement de lignes de tensions contradictoires qui définissent ce qu’on appelle en rhétorique un oxymore. Un oxymore est une figure de style qui fait tenir ensemble deux réalités qui sont censées s’exclure et qui, par-là même, se renforcent l’une l’autre du fait de leur juxtaposition : l’ « obscure clarté » de Corneille, « un silence assourdissant », etc. Je résumerais pour ma part Miami Vice en trois oxymores : un réalisme stylisé, une série d’action contemplative et une répétition créatrice...
par Henri de Monvallier.
Notes de l'auteur :
1 MacGyver est, je ne sais pas pourquoi, une série plus associée aux années 1990 alors qu’elle ne débute qu’un an après Miami Vice et s’étend jusqu’en 1992 (1985-1992)
Retrouvez la suite de l'analyse d'Henri de Monvallier, "Un réalisme stylisé" dès le 28 juillet prochain !
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