Les trois oxymores de Miami Vice : Un réalisme stylisé

Les trois oxymores de Miami Vice : Un réalisme stylisé - Dossier

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Dans le cadre de son article "Les Trois oxymores de Miami Vice", nous vous proposons le second volet de l'analyse du philosophe Henri de Monvallier, livrée en exclusivité pour DeuxFlicsAMiami.fr et à suivre tout au long de l'été...


Milk Run (saison 1, épisode 12), scène d'ouverture pré-générique

On sait que Miami Vice a apporté dans l’univers de la série policière, en même temps qu’une révolution esthétique dont je reparlerai, un certain réalisme qui faisait défaut jusque-là. Bob Hoelscher, un vrai policier, avait été recruté comme conseiller technique à plein temps pour donner une assise aux scénarios et aux réactions des divers gangsters, truands, proxénètes et autres dealers en tout genre qui peuplent la série. Il a également formé tous les acteurs au maniement des armes à feu, de sorte que tous leurs gestes techniques soient parfaitement en accord avec la façon dont agirait un policier en situation réelle 1. Par ailleurs, on sait que la série s’inspirait souvent de faits divers ayant réellement existé (mais souvent condensés en un seul épisode pour apporter plus de tension dramatique) et que Michael Mann faisait parfois intervenir de vrais policiers dans la série (comme pour la scène de prise d’otages de The Maze, saison 1 épisodeI 17). Ce réalisme policier a souvent été souligné même si la série fait aussi parfois, pour des raisons esthétiques ou scénaristiques, quelques entorses au réalisme sur d’autres plans et peut nous montrer quelques scènes parfois hautement invraisemblables, notamment sur le plan médical 2.

Mais ce réalisme solide (au moins sur le plan policier) s’articule, et c’est là toute la puissance de la série Miami Vice et la raison principale de la fascination qu’elle est à même d’exercer sur le spectateur, à une très grande stylisation qui passe par de multiples voies : l’image (avec un énorme travail sur les décors et les couleurs, en particulier dans les deux premières saisons), la musique (très présente dans la série sous la forme de chansons pop-rock en harmonie thématique avec le récit ou des thèmes envoûtants et géniaux de Jan Hammer dont le compositeur disait lui-même qu’ils sont réellement un troisième "personnage" de la série avec Crockett et Tubbs), sans oublier bien sûr les éléments de stylisation vestimentaire (les fameux costumes) qui donnent à la série une identité esthétique très forte et immédiatement reconnaissable.

Parfois les deux dimensions entrent en conflit ou en tension : les costumes des deux flics de Miami télévisés, leur style de vie, par exemple, sont-ils vraisemblables ? Oui et non. Oui car on sait qu’une loi avait à l’époque avait autorisé les policiers infiltrés à saisir l’argent des trafiquants pour pouvoir mener une vie de luxe qui rendait plus facile leur travail d’infiltration (pas facile de se faire passer pour un baron de la drogue ou un acheteur de fausse monnaie en gros [voir scène d’ouverture prégénérique de l'épisode Made For Each Other] quand on est habillé en jean et chemise hawaïenne comme Switek et Zito). En ce sens, ces costumes seraient une sorte de "déguisement" analogue à celui de Gina et Trudy quand elles se font passer pour des prostituées. Mais en même temps ils ne le sont pas car ils ne correspondaient à l’époque à aucune réalité dans la police de Miami. On pourrait plutôt soutenir l’idée que ces fameux costumes ne jouent, au même titre que la couleur, les décors et la musique, qu’un rôle strictement esthétique de pure stylisation. D’ailleurs, Crockett est-il si riche qu’il en a l’air ? Dans la deuxième saison, il dit :

« Secret to success, Rico, whether it’ women or money, is knowing when to quit. I oughta know... I’m divorced and broke. »

Le secret du succès, Rico, que ce soit avec les femmes ou l’argent, c’est de savoir s’arrêter au bon moment. Ça me connaît.... Je suis divorcé et fauché. ») [Saison 2, épisode 6]. Et on se souvient de la tête qu’il fait quand la truculente mécanicienne de One way ticket lui facture 600$ de réparations et contrôle technique pour sa voiture (saison 2, épisode 14) ou quand Tubbs fait tomber à l’eau un homard dont il rappelle qu’il a coûté un certain prix lors de la soirée barbecue entre collègues sur son bateau dans la scène d’ouverture postgénérique de Cool runnin’ (saison 1, épisode 3). Où trouve-t-il la place de ranger son impressionnante garde-robe, dont t-shirts et pantalons changent à chaque épisode, dans son petit bateau d’ailleurs ? Là aussi, le réalisme et la stylisation entrent sinon en conflit, du moins en tension.

 

Notes de l'auteur :
1 Voir sur ce point le petit documentaire Le Flic de Miami (2005) dans les bonus du coffret Blu-ray
2 Ainsi, à la fin de « The Dutch oven » (saison 2, épisode 3), Crockett se prend-il un plateau de trois kilos de cocaïne dans la figure par le dealer Adonis qui se découvre piégé et en état d’arrestation : il en a partout sur le visage, dans les yeux, dans le nez, etc. De quoi tomber au minimum inconscient. Il passe hors-champ pendant une minute laissant Trudy seule face au dealer en question avant de réapparaître pour la sauver en s’époussetant le visage, tel un boulanger qui sort de son pétrin : un peu étonnant sur le plan médical. De même, dans l’assez faible épisode « Junk love » (II, 6), nous sommes confrontés à un personnage féminin qui dit être dépendante à l’héroïne depuis six mois mais dont on peine à voir une seule trace de piqûre sur les bras ou le reste du corps… Pas très crédible. On pourrait sans doute citer d’autres exemples.

 

Retrouvez la suite de l'analyse d'Henri de Monvallier, "Une série d'action contemplative" dès le 11 août prochain !

Publié le 28 juillet 2019 à 12:00:00
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